retour sommaire |Page précédente Novembre 97/Septembre 98 Textes et déclarations de
 sans-papiers


Prénom : Mohsen

Né le 12/04/63

Profession : maçon, carreleur, charpentier.

Je suis le nommé ci-dessus. J?ai sollicité une carte de résident de 10 ans d?après l?accord franco-tunisien. Malgré que j?ai justifié ma résidence habituelle de plus de 15 ans, malheureusement, ma demande était refusée à cause que je m?étais marié en Tunisie en 1994, et aussi parce que j?ai été arrêté par les gendarmes de Montpellier en conduisant une voiture en 1995. Les gendarmes m?ont demandé la carte de séjour, et moi je ne l?ai pas. J?avais les papiers du véhicule et mon permis de conduire que j?ai eu à Toulouse, le 10/10/86. Ils m?ont demandé l?adresse en Tunisie, pourtant l?adresse ici à Toulouse, c?est marqué sur le permis de conduire. Ils m?ont dit que puisque je n?ai pas la carte de séjour, il faut donner l?adresse en Tunisie. J?ai été obligé de leur donner. Voici ces deux motifs pour lesquels j?ai été refusé !

Moi, je vis dans un pays démocratique, un pays qui a le droit de l?homme. Je travaille depuis 1982 . J?ai monté au moins 300 maisons, bâtisse et charpente, mais pas de carte de sécurité sociale, pas de droit, pas de retraite. Quand je suis blesse, quand je suis malade, je vais au médecin, à la pharmacie. Je paye vers les 500 F visite et médicaments. Je n?ai jamais un problème ici en France et j?ai que la peur : soit je marche dans les rues, à chaque fois que je vois un agent de police ou un gendarme, je me cache et je prends une autre rue ; soit dans les chantiers, où j?entends l?inspection du travail ou les gendarmes, je m?échappe dans les habits du travail, et je ne reviens pas au chantier après au moins 3 jours, et là je risque de n'être pas payé par le chef du chantier.

Je suis un homme comme tout le monde, je veux vivre une vie libre, sans peur. Je veux mes droits de sécurité sociale, tous mes droits. Tout le monde me connaît que je suis sérieux, que je suis travailleur, et j?ai présenté leur attestation à la préfecture : le mécanicien où je répare ma voiture, le médecin qui me soigne depuis 1986, depuis que j?ai eu une allergie à la poussière du travail, le propriétaire de la maison que j?habite, et plusieurs autres attestations et témoignages.

Voilà, ça, c?est un peu d?histoire de ma vie. Et à vous maintenant le jugement.

Merci d?avoir lu et écouté cette histoire :
  L?homme clandestin dans les yeux des autres, Mohsen Toulouse, le 24/8/98   [début textes]
retour sommaire | Page précédente



C?est grâce à eux que j?ai pu tenir le coup ; ils m?ont aidé à respirer. De vous dire tout cela m?aide aussi à respirer.

Une chose que je veux dire : Ce n?est pas parce qu?on n?a pas de papiers qu?on est des bandits. On est des personnes, comme tout le monde. Si on est ici c?est qu?on aime ce pays.

Je voudrais monter mon entreprise, j?ai déjà bien réfléchi à tout le projet. Je peux créer des emplois. J?espère qu?ils vont me donner une chance de m?installer. Je veux montrer que quelqu?un qui n?a pas de papiers, il est prêt aussi à enrichir ce pays.
 
 


Toulouse, le 29/10/97  [début textes]
retour sommaire | Page précédente


Si on se bat pour rester ici, c?est qu?on a envie de vivre ici.

Moi je vis en France depuis 1985. Je suis venu parce que j?ai beaucoup de famille qui vit ici : mon frère, beaucoup de cousins. En Tunisie, j?ai fait l?école de maçonnerie, j?ai le CAP. Ca m?a permis de toujours travailler .

En 89, je suis allé 2 ou 3 fois à la préfecture me renseigner pour les papiers. La réponse était toujours négative. Sans demander le nom ni rien, au bureau d?accueil, ils disent toujours non. Ca m?a découragé. En 91, je suis rentré en Tunisie 2 mois. Je me suis marié là-bas. A mon retour ici, j?ai retrouvé du boulot sans problème. Mais à cause du fait que je n?avais pas les papiers, j?ai dû travailler très dur, beaucoup plus dur que les autres : je faisais 13 heures par jour, je devais faire le double du rendement par rapport aux gens qui ont les papiers. C?était presque de l?esclavage pour garder la place.

Plusieurs fois, j?ai été arnaqué, et pour des sommes très importantes. Le patron ne donne pas la paie à la fin du mois, et tu ne peux rien dire, tu n?as pas de preuves que tu as travaillé, tu laisses tomber. Quatre ou 5 fois au moins ça m?est arrivé. Une fois quand j?ai demandé la paie, il a tiré le revolver, il a dit " tu pars "

Malgré toutes les difficultés, je n?ai jamais volé. J?ai eu des moments très durs, où je me suis même parfois privé de manger. Surtout pour payer le loyer, parce qu?il faut aussi payer le loyer très cher pour habiter quand tu es sans-papiers.

J?ai gardé toujours l?espoir qu?il y aura un jour où j?aurai les papiers. On vit dans un pays démocratique. Je me suis dit : un jour il y aura une loi pour qu?on ait les papiers. Depuis 92, je ne suis pas rentré en Tunisie, dans cet espoir d?une loi pour les papiers.

Le 24 Juin, quand ils ont sorti la circulaire, ils en ont beaucoup parlé à la télé. Je n?ai pas hésité à faire la demande à la préfecture. Je demande la régularisation de ma situation pour que je puisse vivre normalement, comme tout le monde, que je puisse payer mes impôts et respecter la loi française.

Une semaine après, convocation . Je suis allé le 23/07, avec les papiers que j?ai pu ramasser. En arrivant à la préfecture, j?ai présenté mon dossier. La femme, sans regarder les papiers, elle a commencé à me mettre les obstacles : comme quoi tous les papiers ne valent rien (j?avais les photocopies du passeport et des visas, le certificat d?hébergement de mon frère, une promesse d?embauche, des factures...) " Il faut que vous rentriez chez vous ". Moi, j?ai dit : " C?est un début, je suis prêt à porter d?autres justificatifs. " Elle a fini par accepter mon dossier, mais m?a dit : " Vous ne serez pas régularisé, parce que vous êtes marié en Tunisie, il faut que vous rentriez chez vous. "

Deux ou 3 semaines après, j?ai ramassé d?autres papiers. La femme n?a pas voulu me recevoir, j?ai dû laisser tout au bureau d?accueil. Ca fait 3 mois et quelque. Pas de réponse.

Quand j?ai appris l?existence du Collectif, je suis venu. Au début, je n?osais pas parler des problèmes que je vis.

Je connais des familles françaises. Une savait déjà que j?étais sans-papiers, pas les autres; Quand je suis allé à la préfecture, j?étais choqué. Ces familles françaises ont dit "Ce n?est pas normal. " Ils ont dit qu?ils allaient écrire au premier ministre pour moi ; ?/?   [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Moi, je suis la s?ur d?un sans-papiers à qui la préfecture refuse la régularisation parce qu?il a fait de la prison.

Mais la personne qui a fait une bêtise ne l?a jamais faite en tant qu?étranger. Mon frère, il aurait été en Chine ou au Japon, à la même période, il l?aurait sûrement faite pareil, parce qu?à l?époque il était très mal dans sa peau. Mais peut-être aussi que si maman avait été avec lui, il ne l?aurait pas faite.

Mon frère a payé, il a fait ses 8 mois de prison.  Il regrette son acte, parce qu?il a fait du mal aux autres, et à lui-même. Cela, il le regrette amèrement..

Quand un politicien est condamné par la justice, il peut se retrouver inéligible, et même être privé de ses droits civiques, et ne plus pouvoir voter. Mais à l?issue de sa peine, il retrouve le plein exercice de tous ses droits. Pourquoi quand un étranger fait une bêtise, même une fois sa dette payée, on continue sans cesse à le lui reprocher, et à le mettre devant lui pour l?empêcher de vivre en homme libre ?

Toulouse, le 30/07/98     [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Mon mari il est venu en France en 90 avec son frère aîné qui fuyait l?Angola. Son frère a demandé l?asile politique et l?a obtenu, mais pas pour mon mari, parce qu?il était mineur, il n?avait que 16 ans.

A sa majorité, il est venu à Toulouse, et a fait ses démarches pour demander l?asile  Il a obtenu un récépissé de demandeur, mais finalement ça lui a été refusé, et le récépissé n?a pas été renouvelé. Il a un peu travaillé quand il était en règle, mais ensuite, sans papiers, il était jeune, il s?est mis plus ou moins dans une bande et il a fait des bêtises. Il a été incarcéré un an à cause de ça, de février 93 à février 94, mais il n?a pas été condamné car l?affaire n?a pas été jugée.

De 93 à aujourd?hui, il est resté tranquille. Il travaillait en intérim. En 95, on s?est connus, et on s?est mis ensemble. Notre enfant est né le 2 7 juillet 97. Il est français, car moi je suis française. Il y a 10 jours, on s?est maries.

Quand on a entendu parler de la loi Jospin, il a fait sa demande . On lui a demandé un tas de papiers. Il lui manquait un passeport. Il a dit qu?il n?en n?avait pas, vu comment il est venu avec son frère. Il a dit "  Je ne vais pas vous donner un faux passeport, je n?en ai pas. " La demande a été refusée.

Dés qu?ils ont su qu?on allait se marier, il y a 15 jours, les policiers n?arrêtaient pas de passer chez moi. Ils lui ont dit de se présenter au commissariat de quartier, puis ils l?ont envoyé au commissariat central. C?était pour lui dire que cette affaire qui n?avait jamais été jugée va passer au tribunal en octobre. Normalement, au bout de 5 ans, il y a prescription. Mais on dirait que d?avoir demandé les papiers, ça a accéléré le processus, et ça va être jugé  juste avant la prescription.

On a peur dès qu'on entend la porte, la sonnette. Il avait trouvé du travail au noir, mais je lui ai dit " laisse tomber, j?ai trop peur qu?on te prenne ". Pourtant, moi je travaille, mais je ne gagne pas beaucoup. Ce n?est pas une vie.

Ceux qui ont eu des ennuis avec la justice, la préfecture leur tombe dessus. Ils ne regardent rien, si c?était des bêtises de jeunesse, si la personne s?est rachetée, si maintenant elle vit honnêtement, si ça met une famille en l?air. Il refusent absolument de laisser une chance à la personne. Ce n?est pas juste.

Pourquoi ceux qui ont fait de la prison, ils les pénalisent encore ? Pourquoi ? Ils ont payé.
 
  Toulouse, le 30/07/98 [début textes]
retour sommaire | Page précédente


JE VEUX FAIRE MA VIE A TOULOUSE.

Moi, mon père est ancien combattant. Il a été blessé pendant la guerre. Je suis le plus jeune de la famille, tous mes frères sont en Europe : en Suisse, aux Pays-Bas, en France, en Italie.

La première fois que je suis venu, j?étais encore apprenti coiffeur. J?ai habité  en foyer. Jusqu?en 88, je rentre, je reviens. En 89, je suis revenu avec un visa, et j?ai habité chez ma s?ur à Paris. D?abord elle était locataire, puis elle a acheté son appartement. J?ai toujours travaillé. Dans la coiffure, mais aussi des ménages, des gardes d?enfants... Depuis 94, je vis à Toulouse. J?ai des amis français, et j?ai rencontré une fille, avec qui je vis.

Mon père, je ne l?ai pas vu pendant 8 ans. En 96, il est mort. Il a été malade pendant deux mois avant de mourir. Comme je n?ai pas les papiers, je n?ai pas pu sortir pour aller le voir.

Alors, j?ai demandé les papiers. Avant, je ne les avais jamais demandé. Je ne m?en étais jamais occupé. Je sortais, j?allais voir mes frères en Europe. Je ne m?inquiétais pas. Mais quand mon père est mort, sans que je puisse le voir, j?ai réfléchi. Ma mère est là-bas aussi. Il peut arriver la même chose. Alors j?ai fait la demande. Il faut que j?ai les papiers pour elle.

Moi je veux faire ma vie à Toulouse. J?ai envie de me perfectionner, de passer un diplôme. Avec mon amie, on pense à se marier.
  Toulouse, le 29/10/97   [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Moi, je suis venu pour faire mes études en France. Je suis titulaire d?une maîtrise en électronique, mais au Maroc, je ne peux pas m?inscrire en troisième cycle, à cause de mes activités politiques, parce que je suis membre du PC marocain.

Je suis donc venu en France. Je suis arrivé en Août 97, avec un visa de courte durée. Le 9 septembre, j?ai déposé une demande pour obtenir un titre de séjour. J?ai contacté plusieurs directeurs de recherche, ici et à Dijon, qui me prendront dans leur équipe sans problème vu que j?ai la mention. Pour les étudiants étrangers, pour faire une thèse de 3ème cycle, la mention à la maîtrise est obligatoire. Cette année, je me suis inscrit à un Centre de Langue Française pour me perfectionner dans la langue et rédiger ma thèse l?an prochain.

Quand je suis allé déposer mon dossier, au début, la dame a refusé de me le prendre. Elle disait : " Il faut que tu rentres chez toi. " J?ai demandé pourquoi. Elle a répondu : " Tu n?as pas de ressources, tu dois rentrer chez toi ". Pourtant, je n?ai pas de problème de ressources, je suis pris en charge par la famille. De ce point de vue là, le dossier est bon. J?ai dû insister pour qu?elle prenne mon dossier. Elle n?a pas voulu accepter les photos d?identité. Elle a dit : " Ce n?est pas la peine. " Pourtant, cela faisait partie des pièces qui étaient demandées.

La semaine dernière, j?ai reçu la convocation pour aller chercher la réponse. C?est un refus, parce que je n?ai pas le visa de longue durée. Mais j?ai fait ma demande avec un visa de courte durée au départ, quand j?ai demandé le dossier. Je l?ai bien spécifié. Et maintenant, ils me refusent parce que mon visa est de courte durée ! Pourquoi m?ont-ils envoyé un dossier alors ?

Par rapport à ce qui m?arrive, je voudrais dire deux choses :

D?abord, on naît par coup de chance, il n?y a pas de mérite à naître dans un pays plutôt que dans un autre. Pourquoi est-ce que je n?aurais pas le droit de faire un troisième cycle , puisque jusque là, j?ai prouvé que j?en suis capable, et que des directeurs de recherche sont d?accord pour suivre ma thèse? Au Maroc, cela m?est impossible.

Ensuite, par rapport à la façon dont la dame de la préfecture m?a reçu, je trouve que ce n?est pas normal. Elle n?a pas à faire de remarques quand on lui donne le dossier. Elle doit juste le prendre et regarder s?il est complet, si on a bien fourni les papiers demandés. Elle n?a pas à refuser les photos et à dire " Rentre chez toi ".

Toulouse, le 1er Novembre 1997  [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Mon ami, il est arrivé en France en 91. Il a demandé l?asile politique, il a eu un récépissé. Mais l?asile politique a été refusé, alors, il s?est procuré un faux passeport, un passeport portugais. Lui, il est angolais. Pendant 5 ans, il s?est baladé avec le faux passeport. Quand il y a eu la circulaire, il est venu de lui-même à la préfecture pour dire que ce passeport n?est pas à lui.

Il a été aussitôt incarcéré pour faux, et condamné à 6 mois de prison ferme.

A la sortie des 6 mois, il a eu une notification de reconduite à la frontière. Il a tout signé. Mais à Paris, la police de l?air l?a relâché, sans lui donner aucun papier.

Il est revenu à Toulouse. On a appelé l?avocat. L?avocat a dit " Ne bougez pas, tant qu?il n?y a pas d?élément nouveau. " Qu?est-ce qu?ils appellent un élément nouveau ?

Au bout de 3 semaines, en bas de chez nous, il a été contrôlé par les îlotiers. Il a été arrêté et condamné à 2 mois fermes pour défaut de papiers. Il devait sortir le 30 juillet 98.

Mais pendant ce temps, ils ont retrouvé une bêtise qu?il avait faite en 92 et pur laquelle il avait eu 10 mois avec sursis à l?époque. Alors, ils lui ont rajouté le sursis.

Avec les grâces, il n?a plus que 3 mois à faire, il devrait sortir en novembre. On a un enfant, un garçon de 2 ans, il est né le 22 février 96. Il est né en France. Moi, je suis en règle, j?ai une carte de résidente d?un an, je travaille. Lui aussi, il travaillait, il a les fiches de paie. Il travaillait dans le bâtiment, en intérim, comme enduiseur. Avec son faux passeport, il n?avait pas de problèmes.

Mon enfant a 2 ans et demi. Il est perturbé. Je veux que mon enfant vive à côté de son père.

Il a fait des bêtises, il a payé. Qu?ils lui donnent sa chance, au moins de prouver qu?il est capable de vivre honnêtement.

Qu?ils essaient au moins, qu?ils lui donnent un an. Cela passe vite un an.

On s?est mis ensemble parce qu?on s?aime. On vit une histoire d?amour. Donc, ce n?est pas juste. Lui, il a fait confiance au gouvernement, il n?était pas à l?aise avec ses faux papiers, il voulait juste être lui-même, avoir son identité. Ils devraient en tenir compte. Finalement, il a été condamné parce qu?il s?est montré honnête.
  Toulouse, le 30/07/98 [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Toulouse, le 7 juillet 1998

Mesdames, Messieurs,

Je me permets de vous écrire pour expliquer ma situation de travail en France :

Je suis saisonnier depuis 1974 dans une entreprise de talc de Luzenac pendant six mois de l?année. En 1981, j?ai eu la possibilité de régulariser ma situation, chose que je n?ai pas faite, pour sauvegarder, protéger mon poste au sein de l?entreprise et croyant à la sincérité des dirigeants et ainsi qu?aux droits que m?offrent les lois de ce pays.

En 1995 et en pleine saison de travail, j?ai attrapé une maladie grave qui m?a provoqué une hospitalisation urgente. Lors de mon séjour à l?hôpital, je n?ai reçu aucune indemnité de la part de l?entreprise. Pire encore, à la fin de la saison, l?entreprise m?a promis de renouveler mon contrat pour l?année suivante. Cette promesse ne se réalisera pas, absolument pas et à ma surprise je me retrouve à la porte après 22 ans de service.

En 1997, et après plusieurs appels téléphoniques et interventions de certains collègues qui étaient sur place, j?ai pu avoir une grâce du patron et ainsi un renouvellement de mon contrat. Mais, à ma surprise et à la surprise de tout le monde, j?étais considéré comme un nouvel ouvrier, c?est-à-dire que mon ancienneté de 22 ans (depuis 1974) n?était plus prise en compte.

Dans ce climat de doute et de peur du futur, et surtout en vue de mon âge (50 ans), un âge qui ne me permet pas de refaire une autre vie au Maroc, je me suis décidé de profiter de l?occasion cette fois pour régulariser mes papiers, ce qui est la moindre des choses à mon égard, surtout après 24 ans de service envers ce pays.
  MOHAMED [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Je suis dans plusieurs associations, comme bénévole, et comme ça je rencontre beaucoup de gens, je peux aider. La France, c?est comme si elle ne savait pas profiter de l?intelligence de la personne.

Moi, je cherche ma liberté pour m?exprimer avec mes paroles et ma pratique : je veux montrer comment j?existe. Or là, je n?existe pas, c?est comme si je n?étais personne.

Ce n?est pas des papiers qui vont changer la personne. Il vont seulement lui enlever les obstacles.

Les papiers, c?est la clé qui ouvrira notre prison [début textes]
retour sommaire | Page précédente


Tout ce qu?on veut, c?est la liberté.

On ne veut pas la richesse des autres . J?ai préféré partir, laisser mes parents là-bas en Algérie Je suis venu pour demander une liberté que je n?avais pas dans mon pays.

Chaque personne ici en France a ses raisons. Parfois, quand je suis tout seul, je réfléchis à comment ça se fait que je suis ici en France. Ce n?était pas ça, mon rêve. Mon rêve, c?était de réussir, de fonder une famille devant mes parents, pas de les laisser, de les quitter.

Chacun de nous, avec ou sans papiers, a ses racines et ses origines, mais la terre a été créée pour tout le monde, pas pour Chirac, ou Jospin ou pour le président algérien ou italien. Elle nous appartient à chacun . En plus, on n?est pas des millions. On est combien ? 150 000 sans papiers.

On n?est pas venu voler, prendre le pain des autres, profiter des richesses. On travaille dur, la pelle, la pioche, les restaurants... Depuis que je suis en France, j?ai appris plein de métiers. Oui, j?ai beaucoup appris. Avant, quand j?étais chez mes parents, j?avais la belle vie : Je travaillais pour moi, j?avais la voiture, etc... Mais on m?a convoqué pour le service militaire. C?était juste quand les problèmes en Algérie ont commencé, l?armée faisait des opérations dans les villages, les maquis. Moi, je veux bien risquer ma vie pour des gens qui n?ont pas les moyens de se défendre, mais pas pour des colonels qui dorment au chaud chez eux et qui ont bouffé tout l?argent de l?Algérie. Au moment de l?indépendance, mon père avait fait son choix. Moi aussi, j?ai le droit de choisir. Pour moi, c?était grave de quitter mes parents, mais je ne regrette pas.

Mais ici en France, je suis en liberté, et en même temps, du fait que je n?ai pas les papiers, je suis prisonnier. C?est comme un prisonnier à qui on dit :  " Tu es libre ", mais on ne lui donne pas la clé pour sortir. Nous, on mène une vie de risque. Le risque il existe toujours...

Plusieurs fois, le patron m?appelle le soir pour du travail. Le lendemain matin, je prends le métro, mais arrivé au Capitole, je trouve la police. Demi-tour. Au bout d?un moment, les patrons ne m?appellent plus. Une autre fois, je travaillais tard le soir, je posais des fenêtres. Il fallait finir. Arrivé chez moi, je devais manger, faire ma gamelle pour le lendemain.. Je n?avais rien. Je décide d?aller à l?épicerie de nuit à St-Cyprien pour acheter. A St-Cyprien, les CRS. Demi-tour. Ce soir-là, je n?ai pas mangé, et le lendemain, je suis allé au travail et j?ai passé la journée sans gamelle, sans rien. Même les courses, on ne peut pas les faire tranquillement. Combien de fois je vais au Géant, et je dois faire demi-tour à cause des CRS.

En dévoilant nos vies et nos problèmes, on peut toucher des gens. On ne peut pas comprendre quelqu?un si on ne connaît pas la situation qu?il vit. J?espère pour tout le monde qu?il n?aura pas besoin de vivre notre vie. Heureusement, j?ai du soutien, des gens d?accord pour ce qui est bien pour tout le monde. Quand je parle avec eux, ou comme en ce moment, ça me fait l?effet d?un calmant. ?/? [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Lettre ouverte à Monsieur le Préfet de la Haute-Garonne

Toulouse, le 30/06/98
 Monsieur,
Je suis rentré en France en 1988 pour travailler. J'ai bénéficié de contrats de travail saisonnier, Etant un maçon hautement qualifié, je n'ai trouvé aucune difficulté à trouver des patrons qui m'ont même proposé de me déclarer. Le seul problème qui a entravé la bonne marche des choses, c'est l'absence répétée d'une pièce d'identité. Cela a tellement constitué un handicap pour moi que j'ai été victime de malhonnêtes gens qui m'ont fait travailler sans me payer. Je n'ai malgré tout pas baissé les bras et je continue à travailler pour payer les frais fixes tels que loyer, factures, EDF et Telécom. Ainsi, j'assume les frais du quotidien : frais de transports et autres....

Je suis rentré une fois pour voir ma famille au Maroc en 10 ans de vie en France. Je suis retourné en 1992 reprendre mes activité à Toulouse : bâtiment, encore bâtiment, et toujours bâtiment. Je commence tôt le matin et finis tard le soir. Le jour où je ne travaille pas, je me fais du souci pour l'avenir et je me sens inutile.

J'ai passé les meilleurs années de ma vie au service de la France : j'ai participé à construire des chantiers importants tels que le métro VAL de Toulouse, la nouvelle clinique Sarrus-Teinturiers (allée Charles-de-Fitte), l'hôtel Sofitel (allée Jean-Jaures)... pour n'en citer que les plus édifiants. Sans oublier que si je connais la banlieue toulousaine, c'est juste pour y avoir travaillé, notamment construit des villas à deux : uniquement le man?uvre et moi. C'est vous dire l'importance de mon travail : j'ai davantage travaillé en France qu'au Maroc. Je me suis intégré par le travail et pour le travail.

Je ne demande à la France qu'une seule chose : le permis de travailler au grand jour. Ne plus avoir à vivre dans l'ombre. J'ai espoir qu'on réétudiera mon cas et que le résultat sera positif

En attendant ce jour, je vous présente, Monsieur le Préfet, mes meilleures marques de gratitude de vouloir bien me recevoir. [début textes]
retour sommaire | Page précédente


PRESQUE UN QUART DE SIECLE OUVRIERS A LUZENAC,
ET NOUS VOILA SANS- PAPIERS, SANS DROITS !

Tous les trois, on est Marocains. Pendant 24 ans et 20 ans pour les autres, on a travaillé à LUZENAC, à la mine de talc. On a travaillé comme saisonniers, c'est-à-dire qu'on avait des contrats et des cartes pour 6 mois, renouvelées tous les ans. On travaillait 6 mois ici, on rentrait 6 mois au MAROC.

Je suis venu en FRANCE depuis 1977 , à l'âge de 18 ans. J'étais avec mon père, qui travaillait ici depuis 1968 . Maintenant, il est retraité au MAROC. J'ai les coutumes françaises ; je n'ai jamais eu de problème. J'aime rester ici.

Depuis 1977 ,je travaille à LUZENAC, à la mine de talc. Je suis conducteur d'engins à la mine. J'aime mon travail. Tous les ans, j'attendais le mois de mai pour venir en FRANCE, et après les 6 mois, on repartait au MAROC.

Avec mes camarades saisonniers comme moi, quand on entendu parler de la circulaire, on s'est dit : "On va demander des papiers, une carte de dix ans, pour être tranquilles". On a fait la demande, on était confiants, vu tout ce qu'on a toujours travaillé et toujours en règle.

On a eu un refus : " Vous devez rester saisonnier ". Comme on attendait le résultat de la demande, on n'est pas rentrés au MAROC cette année, et on n'a pas pu faire viser nos passeports par l'office de migration au MAROC. Alors, on n'a pas pu refaire le contrat pour cette année.

A cause de ça, parce qu'on a fait confiance au gouvernement, on se retrouve sans rien: on n'a plus de papiers, on n'a plus de travail...Moi, j'ai une famille avec 5 enfants au MAROC ; et ça lait un an que je ne peux plus rentrer. Ma petite fille d'un an, je ne l'ai toujours pas vue. J'ai une promesse d'embauche. Je veux continuer à travailler ici, à vivre ici.

Moi, je travaille pareil à LUZENAC depuis 1974. Ca fait une bonne période, presque un quart de siècle, et je commence à être âgé . Pour trouver du travail , l'âge , c'est un handicap . Alors, après 24 ans de travail à la mine, où je peux trouver du travail ailleurs ? Si je suis expulsé , je vais tout perdre: plus de retraite, plus de sécu. Si je suis expulsé, les frontières sont fermées, et je n?aurai pas de droit de revenir. J?ai 6 enfants au MAROC , il faut que je travaille.
  TOULOUSE, le 22/05/98. [début textes]
retour sommaire | Page précédente


17 ans ouvrier en France : on ne peut pas rayer une vie comme ça.
Mon père est ici, on veut vivre ici avec lui.

Mon père est arrivé en France en 1967 . Il va vous expliquer :

Je suis venu par le bateau. A l?époque, pour venir en France, il fallait s?inscrire dans un bureau, et on faisait passer une visite médicale, plus qu?à l?armée. Après la visite, ils donnaient un certificat médical avec la photo. Sur le bateau, on était très serres, tous assis par terre, sans la place pour bouger. A l?arrivée à Marseille, pour passer la douane, il fallait juste le certificat de bonne santé avec la photo. Après je suis allé au Creusot chez un ami, et j?ai commencé à travailler, dans les travaux publics. Ma femme était en Algérie. Un garçon et une fille sont nés en Algérie. En 74, j?ai fait venir ma femme et mes enfants. Tout ce temps où je restais sans eux, j?avais très mal. Les autres enfants sont nés au Creusot. J?ai 5 enfants français. Pendant 17 ans, j?ai travaillé en France, le goudron sur les routes, et en usine. En 84, mon père est tombé malade là-bas. Alors je suis retourné pour mon père. Je suis retourné avec la femme et les enfants. "

Moi, je suis français. Je suis né ici. J?avais 9 ans quand on est partis.

En Algérie, ça ne m?allait pas. En 93, je suis revenu en France. J?ai habité dans un foyer, et j?ai de suite trouvé du boulot. J?ai pris un appartement, et j?ai fait venir mes 2 frères français. Tous les 2 travaillent.

En Algérie, mon grand-père est mort. Alors, j?ai demandé un visa pour mon père. On a attendu 3 mois pour avoir le visa pour venir un mois. Quand il est arrivé, j?ai demandé une carte de séjour pour mon père. C?était sous le gouvernement Juppé. Refusé . A nouveau, j?ai fait la demande dans le cadre de la circulaire Chevènement. Refusé à nouveau ! Motif : il n?a pas un visa de long séjour !

Pendant 17 ans, mon père a été ouvrier en France. Il a travaillé à faire les routes, et en usine.. Et la préfecture fait comme s?il n?avait jamais été là, comme s?il n?avait jamais vécu dans ce pays. Il a 5 enfants français, et l?état le traite comme un touriste !

" Rien ne prouve qu?il peut rester ici, il ne rentre dans aucun critère. " Voilà ce que nous a dit la femme qui nous reçus lors de l?entretien. 17 ans ouvrier en France, père de 5 enfants français. Ce n?est pas des critères suffisants, ça ?

Elle a ajouté : " Oui, mais si on vous fait la carte, vous allez faire venir votre femme. " Eh alors? ? Bien sûr qu?il va faire venir sa femme. C?est normal de vivre avec sa femme, non ? Même Le Pen si on lui demande, si on ne lui dit pas que c?est pour un arabe, il trouvera ça normal..

Déjà, quand on est allés déposer le dossier à la préfecture, l?employé n?a pas voulu le prendre, et j?ai dû me disputer avec lui pour qu?il l?accepte.

" Depuis que je suis là, mes enfants sont mieux. Je m?occupe d?eux, je prépare pour quand ils rentrent du travail. Moi aussi je vais mieux. Je suis malade. L?estomac et surtout j?ai de l?asthme. Ici en France, ce n?est pas grave, parce qu?on trouve les médicaments. En Algérie, j?habitais un village, il n?y avait pas de remèdes ou alors très chers. J?ai eu plusieurs crises graves. "

Beaucoup de gens, même à la préfecture, trouvent que ce n?est pas normal qu?il n?ait pas la carte. Nous, on veut vivre avec mon père. Toulouse, le 6 Novembre 1997
 
 



Pour toutes ces raisons, il faut les papiers [début textes]
retour sommaire | Page précédente



Je veux rester ici. J?aime vivre ici. S?il ?y a pas la liberté, il n?y a pas la vie.

J?ai 31 ans, je suis marié au Maroc. Je n?ai pas vu ma femme depuis presque 10 ans. Mon fils à 10 ans ; je lui parle au téléphone, il ne me connaît pas, je suis comme un étranger pour lui. Avec ma femme, ça devient pareil. Je ne peux pas aller les voir à cause des papiers.

J?ai passé ma jeunesse ici. Je ne peux pas retourner au Maroc maintenant. Il faut que je me tue?

Des fois, la police m?arrête ; il me relâche un jour après. Je ne fais pas de trafic ni rien.

Des gens ont la carte dans la poche, moi je n?ai rien. On m?a mis les menottes parceque je n?ai pas les papiers. Jamais on ne m?avait fait ça.

Pour le travail, tu trouves difficilement à cause des papiers. Les gens ont peur de te donner du travail, ils ont peur qu?on te voie avec eux.

Tu n?as aucune fiche de paie.

J?ai travaillé 7 ans dans le bâtiment mais je n?ai aucune preuve.

Des fois je n?ai rien à manger. Pour le logement c?est pareil. Que faut-il faire? Voler ou faire des choses pas bien? Non.

Sans-papiers, tu n?as rien pour manger, pour dormir...

Tu vois la police, tu peux pas approcher. Si tu es loin, ça va. Il faut faire attention sans arrêt.

Si j ?ai les papiers, je peux travailler, même la nuit, ça m?est égal. Je cherche pas le RMI ou quoi.

Les patrons avec qui tu travailles, ils savent que tu n?as pas les papiers ; ils en profitent pour ne pas te payer ou te donner des chèques sans provisions. Tu peux rien faire.

Avec certains tu travailles pendant un mois, ils te donnent un peu d?argent : 100F de temps en temps, 1 paquet de cigarettes et puis après il te disent . " Je n?ai rien à te donner, je t?ai déjà payé ". Une fois, au mois d?août : 27 jours de travail. Il nous a rien donné.

Pour toutes ces raisons, il faut les papiers.

Si j?ai les papiers, je suis déclaré, j?ai déjà une promesse d?embauche.
 
 

Toulouse, 15/12/97  [début textes]
retour sommaire | Page précédente


MON PERE A PARTICIPE A CONSTRUIRE LA FRANCE ET IL N'A AUCUN DROIT.
JE SUIS UN FILS D'OUVRIER. PAS UN FILS D'IMMIGRE.

Moi, je suis né français, je n'ai rien fait pour ça, je suis jeune, je commence juste à travailler, ça ne fait pas beaucoup d'années. Mon père, il a fait le plus gros boulot, pendant 17 ans il a travaillé ouvrier en France,

et à lui on ne reconnaît rien, aucun droit. Il n'a même pas les papiers. Je trouve qu'il a fait plus pour la France que moi ou qu'un français de mon âge, il mériterait d'être français.

Mais au lieu de ça, parce qu'il est retourné vivre un moment en Algérie, 'est comme s'il n'avait jamais rien fait, comme s'il n'existait pas.

En Algérie, il n'a pas bossé. Le plus gros travail, c'est ici en France. En France, il n'existe pas, en Algérie, il n'a rien fait. Lui-même, il ne sait plus s'il est d'ici ou s'il est de là-bas. Personne ne le reconnaît. S'il n'a pas de

droit ici, alors là-bas ! Il n'a même pas de fiche de paye de là-bas. Si je me mets à sa place, je ne sais pas comment je me sentirais.

Parfois, je me dis : " Si un jour l'Algérie s'arrange, j'y vais. " Mais si je pars, je n'aurai plus aucun droit ci. Toutes les années ou j'ai bossé, j'ai souffert, ça sera rayé. En fait, tu travailles juste pour gagner de l'argent, tu as un salaire, donc tu n'as rien à dire, tu n'as pas le droit de parler.

Un ouvrier qui a bossé tant d'années, il doit avoir plus de droits qu'une personne comme moi.

Avec cette histoire de papiers, mon père, il m'a appris beaucoup de choses sur les ouvriers. Dès qu'il a commencé à travailler ici, il disait qu'il faisait les boulots les plus durs. Mais il vivait, c'était tranquille. Il se faisait rarement contrôler, ce n'était pas un problème. Il avait des amis ouvriers, des français et des arabes. A cette époque ils ne savaient pas bien parler je français, mais ils étaient bien traités. Maintenant, on a les moyens, on sait parler le français, et on est maltraités. C'est vrai qu'à l'époque, le travail ouvrier était considéré, il avait de la valeur. Les ouvriers comme mon père, ils étaient quand même bien vus.

Ceux qui ont bossé avant, ils n'ont rien, mais ils ont construit la majorité des choses, comme le Mirail, c'est des gens comme mon père qui l'ont fait. Moi, je travaille, mais quand je suis venu, tout était déjà prêt. C'est les ouvriers d'avant qui ont construit la moitié des choses de maintenant.

Ils sont tout faux ceux qui crachent sur leur père parce que c'est un ouvrier. Les ouvriers ils étaient bien respectés. Mon père, il me dit qu'avant, il y avait de tout comme ouvriers : des italiens, des espagnols, des portugais, et aussi des français. Maintenant, quand on parle des ouvriers d'avant, on parle pratiquement que des Africains, noirs ou arabes. Les italiens, par exemple, on n'en parle plus. ?/?   Les gens , les jeunes surtout ont l'impression que avant, dès que les patrons avaient besoin d'ouvriers, ils allaient les chercher dans leur pays, et puis qu'ils les renvoyaient quand ils n'avaient plus besoin,. lls croient que les ouvriers d'avant, c'étaient comme les esclaves. Il ne savent pas que les ouvriers qui ont construit la France, ils sont toujours là, autour d'eux, même si certains ne sont pas arrivés à la retraite.

D'autres, en voyant ce qui se passe, ils se disent : " Mon père a travaillé toute sa vie ici, il n'a rien eu, je ne vois pas pourquoi moi je vais travailler pour ne pas être reconnu ". C'est pas un bon raisonnement. Moi je préfère

dire ce qui arrive à mon père, l'écrire, expliquer qu'il été 17 ans ouvrier en France, qu'il a 5 enfants français, et que la préfecture ne lui donne pas les papiers. Il n'a aucun droit, et ça ce n'est pas normal, parce qu'à cause de son travail ici en France il a le droit. Ca a de la valeur de dire ça, parce que ça va pouvoir rester, dater. Dans 10 ans, 30 ans, il y aura toujours des archives, les gens pourront savoir ce qui s'est passé.
je trouve que sur chaque immeuble il faudrait mettre le nom des ouvriers qui l'ont fait. Le métro par exemple, on ne sait pas qui l'a fait. Il y a le nom de celui qui a décoré la station, il n'y a pas le nom des gens qui l'ont construite. Ce n'est pas normal. Moi j'aimerais bien pouvoir me promener et montrer la ville en sachant qui a fait les choses. C'est vrai, quand ils finissent un immeuble, ils remercient le chef d'équipe, et c'est comme si les autres, ceux qui ont construit, n'existaient pas. A l'usine, c'est pareil, c?est toujours le nom de l'usine, le nom du patron partout.

C'est comme les anciens combattants, il y a leur nom parce qu'ils ont bataillé pour la France. L'ouvrier aussi il bataille.

Toulouse, le 22/04/98 [début textes]
retour sommaire | Page précédente


 Il n?y a pas de justice pour les gens aujourd?hui.

Nous, on a quitté la famille du bled pour chercher un avenir pour eux. On n?avait pas les moyens de construire leur avenir là-bas.

Moi, j?ai quitté l? Algérie pendant les événements de 90 /91. Je suis venu en France régulièrement, avec un visa d?un mois. J?avais 22 ans, je ne connaissais personne. J?ai vécu comme ça, j?ai travaillé, j?ai fait des bêtises. c?est la jeunesse. Et puis, je me suis rendu compte que je suis en train de gâcher mon temps. Alors, je suis venu à Toulouse. J?ai rencontré ma femme en 93, ça m?a donné une autre envie de vivre, de me battre. Je voulais me battre pour faire une famille. En 95, on s?est mariés. J?ai frappé à toutes les portes en 95 pour avoir mes papiers. Ca n?a rien donné. Avec la loi Pasqua, rien à faire. Bon, c?est pas grave.

En Juillet 96, ma fille est née. J?ai fait des demandes : ma femme est française, ma fille est française, et moi, je n?ai pas les papiers. Mais ça n?a encore rien donné.

Janvier l?an dernier (97), je sors de chez moi pour prendre l?air, je rencontre des flics en civil, ils me demandent les papiers. J?ai dit : je n?ai pas les papiers, mais j?habite là, je suis marié, j?ai un enfant. " Ils ont dit " rien à foutre, pas de papiers, on t?embarque. " Dans la voiture, ils m?ont dit des choses qu?ils ont l?habitude de dire, que je suis un clando, que j?ai rien à faire ici, que je suis marié à cause des papiers..

Je suis resté 24 heures au centre. Au tribunal, le juge m?a donné un mois, parce que j?étais sans-papiers. J?ai fait 15 jours à St-Michel. Ils voulaient m?expulser. A la sortie, je suis passé devant le juge, mais il a dit : " On peut pas l?expulser, sa femme est française, et il a un enfant français. " Ils m?ont assigné à résidence pendant 6 jours, puis ils m?ont dit qu?il faut que je quitte le territoire. Les flics de Blagnac sont passés chez moi et m?ont fait signer un papier pour dire que je pars tel jour, telle heure.
J?ai trouvé un copain qui m?a hébergé pendant 4 mois chez lui.. Je ne dormais pas chez moi, je ne voyais pas ma fille.
Après, il y a eu la circulaire, j?ai fait 2 demandes pour la circulaire. Mais ils m?ont refusé, parce que j?ai fait la prison à St-Michel l?année dernière. Ils ont dit : " trouble à l?ordre public ".
Mais ils m?ont mis en prison parce que je n?ai pas les papiers !
Ils ont dit aussi un deuxième motif de refus : que je n?assume pas ma responsabilité parentale. Mais ils m?empêchent de travailler en ne me donnant pas les papiers, et ensuite ils me reprochent de ne pas nourrir mon enfant !
J?ai fait un recours gracieux.
Pour exploiter les gens, ils les cherchent sans problème, mais pour leur rendre justice, ils ne les connaissent plus.
Il n?y a pas de justice pour les gens aujourd?hui.
  Toulouse, le 11/2/98 [début textes]
retour sommaire | Page précédente


Il faut une vraie régularisation, pour que les gens vivent.
Pas une régularisation qui fait tourner les gens en rond.

Ma vie, c?est comme avant, à part la petite vignette sur mon passeport.. Mais sinon, je suis toujours pareil, toujours dans la même galère, avec des dettes de loyer, obligée d?emprunter pour l?eau, l?électricité, etc..

Ca fait 6 ans que je vis en France. Je suis venue pour rejoindre mon mari, qui était artisan. J?ai 4 enfants : 15 ans, 12 ans, 8 ans, 5 ans. Le dernier est né ici. Mon mari est parti, je vis seule avec les 4 enfants. Je faisais partie du Collectif des sans-papiers de Toulouse, et j?ai été une des premières à être régularisées, avec la circulaire Chevènement. Mais ça n?a pratiquement rien changé, parce que mes enfants, eux, ne sont toujours pas régularisés. C?est comme s?ils n?existaient pas. Ca fait que je n?ai pas droit aux allocations familiales, je n?ai droit à rien. Avec quoi je vis ?

Je fais des ménages, mais ce n?est pas toujours, et c?est loin, j?ai beaucoup de trajet. J?ai trouvé un travail, mais c?était un contrat CES. J?étais contente, mais à l?ANPE, pour faire un contrat CES, on m?a dit que je dois être inscrite au chômage depuis plus d?un an, ou être RMISTE. Mais pour le RMI, il faut être au chômage depuis 3 ans. Je suis là depuis 6 ans, le petit est né à Toulouse. Ils ont reconnu cela puisqu?ils mont donné les papiers. Mais en même temps, ils font comme si ma vie ici commençait juste du jour des papiers, du mois de Juillet.

C?est un cercle infernal. je tourne en rond, je suis coincée. Depuis juillet que j?ai été régularisée, j?attends de recevoir la convocation pour mes enfants : ils m?ont dit tous les papiers que je dois amener et de faire une lettre pour demander leur régularisation. J?ai tout porté le lendemain, et depuis, toujours rien. Il faut qu?ils passent la visite médicale pour avoir les certificats de L?OMI. C?est obligatoire pour toute demande de régularisation. Pour moi, la visite, ça m?a coûté 1050 F, et pourtant, c?est vraiment une visite de rien du tout. Pour les enfants je ne sais pas combien.

Je suis retournée demander des nouvelles à la préfecture avant-hier. Ils m?ont dit : " Toujours rien, il faut attendre ".

Quand ils m?ont régularisée, ils ont dit :    "  C?est humanitaire, c?est parce que vous êtes parent d?un enfant né en France. " Où est l?humanité, s?ils ne régularisent pas les enfants ? Les enfants eux, ils sont de Toulouse. Ils vont à l?école, ils ont les copains, c?est chez eux. Pour eux, ils sont là, il bougent pas de là.

S?ils régularisent les gens, c?est pour qu?ils vivent, pas pour rien.

Je connais une autre dame dans mon cas; On lui a donné les papiers, mais sa fille n?est pas régularisée, Pour eux, elle ne compte pas.

Les gens me disent : " C?est bien, tu as eu les papiers. " Mais moi, à part cette vignette sur mon passeport, je ne vois pas qu?il y a eu régularisation ici. La vignette, c?est beaucoup parce que je ne crains plus d?être expulsée, et c?est rien si les enfants ne sont pas régularisés, parce que c?est à cause d?eux qu?on est là.

Ce n?est pas normal ; quand ils régularisent il faut qu?ils comptent tout le monde : la femme si elle est là, et les enfants. Ils existent, ils sont là. Toulouse, le 18/02/98 [début textes]
retour sommaire | Page précédente


JE SUIS OUVRIER DEPUIS 15 ANS.
ME BATTRE POUR LES PAPIERS C'EST ME BATTRE POUR LA
RECONNAISSANCE DE MON TRAVAIL

Après 15 ans d'existence ici en France, j'ai reçu le refus de régularisation avec l'aide au retour. On me propose 4500 f pour retourner en Tunisie. Je me demande si la vie de quelqu'un peut être comparée à de l'argent...

Surtout durant ces 15 ans, j'ai perdu ma propre culture, parce que j'ai bien aimé ce pays, j'ai respecté ses lois, et j'ai fait des amis de souche française, et je m'y suis esquinté la santé en travaillant très dur pur ne pas voler. Alors ils disent qu'ils vont conduire les sans-papiers maintenant dans leur pays...Moi, c'est là-bas où je vais me sentir étranger, car les amis d'enfance que j'ai laissés là-bas, j'ai remarqué, par les courriers qu'ils m'envoient, qu'ils me considèrent celui qui s'attache à un pays occidental, et leur ramène une culture étrangère.

Alors je me demande : est-ce que le gouvernement français se rend compte à quel point il détruit psychologiquement des gens innocents en disant qu'il va les envoyer dans leur pays d'une façon " humaine " ?

lls considèrent que les sans-papiers ici sont des délinquants. On leur donne ça pour qu'ils partent. Les gens qui sont là n'ont pas besoin de cet argent, ils ont juste besoin d'être régularisés.

Moi, depuis 15 ans que je suis là, je peux justifier de 9 ans de présence. J'ai 3 promesses d'embauche. Mais ils ne veulent pas me régulariser parce que je suis marié en Tunisie. Soi-disant qu'il faudrait être célibataire

ici, ou marié ici. Mais à d'autres, ils disent " on ne peut pas vous régulariser parce que vous n'êtes pas marié. "

Ils disent : " Vous avez des attaches en Tunisie ". Quelqu'un qui n'a pas d'attache, à mon avis, c'est quelqu'un qui est perdu complètement. On a des attaches ici et là-bas, on a des amis, des parents, ici et là-bas. Ils proposent 4500 F qu'en plus le gouvernement de là-bas va nous prendre !

Mais ce n'est pas la question,. Même s'ils me donnaient 10 millions, je ne suis pas d'accord. Je me débrouille pour travailler, être utile, je n'en ai pas besoin. Je veux juste une carte pour continuer de vivre ici.

Qu'est-ce que je vais faire là-bas ? Je n'ai aucun avenir là-bas, ici je suis intégré, là-bas, non. Quand j'ai été rejeté à la préfecture, la femme elle m'a dit qu'on est trop nombreux, qu'il faut rentrer chez nous. Alors là je me suis senti vraiment étranger
Sans-papiers, tu dois accepter le travail le plus pénible. Le bâtiment, c'est un travail pénible. Moi, je suis jeune encore, et je suis déjà fatigué par le travail., alors les
plus âgés ! J'essaie un peu de lire, mais quand je travaille, ce n'est pas possible, je m'endors tout de suite. ?/?  [début textes]
retour sommaire | Page précédente



J'ai fait une carrière de 15 ans. Au métro de Toulouse, par exemple, j'ai travaillé pendant 6 mois à la construction. Il y avait beaucoup de sans-papiers. J'ai eu de la chance je n'ai pas eu d'accidents.

A mon avis, tout ce que j'ai fait pour la France, ça peut être récompensé par une carte de séjour. lls ont oublié le côté correct, le coté travail. Si on compte toutes les maisons que j'ai bâties ici, ça en fait des lotissements...

A un moment, tous les 8 mois, on faisait une maison, un autre ouvrier et moi. Alors, il faut compter ça.

Toulouse, le 20/4/98 [début textes]
retour sommaire | Page précédente


Si on veut rester ici, il y a des raisons.

Je vis chez mes parents depuis 93. J?étais étudiant à Alger. Je suis venu terminer mes études en France (4 ans d?études). J?ai un peu travaillé aussi. En avril 96, je me suis marié avec une française, mais le mariage n?a pas tenu, et après 8 mois, elle a quitté le domicile et a demandé le divorce.

Depuis 96, j?ai eu 4 récépissés de 3 mois, un an en tout. Après, ils n?ont pas voulu me les renouveler, à cause de la demande de divorce. J?ai déposé un recours. Bloquer les papiers comme ça d?un coup, ce n?est pas logique.

J?avais du travail, j?étais embauché, mais un jour, il y a eu une visite de l?inspection du travail sur le chantier. Ils m?ont demandé la carte de séjour, à ce moment-là, je n?avais plus de récépissé. J?ai dû quitter le chantier.

Quand il y a eu la circulaire, j?ai envoyé ma demande et j?ai refait le dossier. Depuis, je n?ai rien reçu. Il paraît que la carte est prête, qu?elle est dans le dossier, et qu?il manquait la signature du préfet. Aux dernières nouvelles, quand on a appelé, on m?a dit que non, que le préfet avait refusé. Pourquoi ça ? Sur quelle loi il se base ?

Je travaille ici, je reste ici. Mes parents sont là, mes frères aussi. Qu?est-ce que je vais faire en Algérie ? Mes frères ont eu les papiers . Moi je suis rentré régulièrement. L?armée là-bas, je ne l?ai pas faite. Je ne vais pas y retourner, surtout vu la situation, même en vacances.

Mon père lui il avait fait les papiers là-bas pour travailler ici. C?était début 70. Il a toujours travaillé dans le bâtiment, il vit toujours ici. Moi, maintenant, j?attends. J?ai présenté tous les papiers depuis que je suis entré, et les embauches. Je respecte la loi. La preuve, j?ai payé un PV de 1200 F.

Si on veut rester ici, il y a des rasions et il faut en tenir compte.
 
  Toulouse, le 29/10/97  [début textes]
retour sommaire | Page précédente